Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
vive les sociétés modernes - abécédaire
27 septembre 2008

J comme Journalisme (et justice)

Entendu dans la bouche d'un journaliste chinois en poste à Paris : "Le devoir d'un journaliste n'est pas de défendre la justice mais de dire la vérité".

Propos sans doute surprenant de la part d'un possible représentant officiel du régime de Pékin, mais surprenant aussi par sa justesse et sa concision.

En effet, et encore plus dans les états démocratiques que dans les autres, on attend des journalistes qu'ils rapportent fidèlement les faits (dans leur matérialité et leur signification)1 et non qu'il se mettent au service de quelque cause que ce soit, aussi juste soit-elle:

- dans les états démocratiques encore plus dans les autres : car l'un des principes fondamentaux de ces états est que les adultes, au contraire des enfants, sont autonomes intellectuellement, c'est à dire capables de penser par eux-mêmes.2 S'il y a donc absolument lieu de les informer, il n'y aucunement lieu de procéder à leur place à l'appréciation morale et/ou politique des évènements qui surviennent dans le monde, et encore moins de cacher certains d'entre eux ou d'altérer leur relation, au motif que cette relation pourrait nuire à une cause sacrée parce que juste : la vérité des faits risque en effet d'être dangeureuse pour toutes les causes y compris les plus justes, mais la démocratie exige que les journalistes et nous-mêmes, leur lecteurs, courrions ce risque. Toute autre option relève d'une conception paternaliste de la presse.

- on élude souvent cette exigence en contestant, pour des raisons épistémologiques plus ou moins convaicantes, la possibilité de dire la vérité, de relater fidèlement les faits, d'être objectif, impartial. Quand même une relation absolument fidèle serait inaccessible, cela ne saurait servir d'excuse à ceux qui ont pris leur partie de la partialité.3

Reconnaissons toutefois que les sociétés modernes sont mieux protégées de ces dérives que les autres en raison de la pluralité et peut-être de la concurrence des médias: il y est plus difficile de passer sous silence les faits dérangeants.

Pierre Gautier

1 en prenant soin de séparer aussi clairement que possible dans leurs articles chacun de ces deux aspects.

2 on peut douter de l'autonomie intellectuelle des adultes : qu'on ose alors se demander si on est vraiment démocrate.

3 à la limite la notion de journaliste engagé est une contradiction. Le seul engagement digne d'un journaliste est l'engagement de ne se laisser détourner de la vérité (selon les règles de la déontologie) par aucune cause, y compris les plus sacrées; non pas que la vérité soit la seule ou la plus haute valeur digne de respect dans une société, mais c'est la seule valeur que doit respecter le journaliste en tant que tel.

Publicité
Publicité
Commentaires
P
merci pour ce commentaire que je trouve très éclairant: tu as raison notamment de souligner que l'autonomie ne peut s'exercer directement à partir des faits mais seulement à partir de leurs différentes significations possibles. La mission du journaliste est donc non seulement de relater les faits mais leurs différentes significations.<br /> Cela dit il faut croire que certains faits sont suffisamment parlants en eux-mêmes pour qu'on soit tenté de les occulter dès lors qu'ils risqueraient de nuire à une cause qui nous paraît sacrée.
J
Qu'on ne se méprenne pas sur l'autonomie : vote ou opinion, elle n'est pas le fruit d'une "objectivité" qui aurait fait table rase de toute opinion (ce qui serait contradictoire), mais d'un choix, que Kant dirait moral, et qui cherche le motif le plus grand de croire en sa légitimité, et non le plus bas. <br /> D'ailleurs, que serait un fait objectif dépouillé de tout regard et de toute différence de regards ?<br /> Ce qui est illusoire est bien l'idée d'une objectivité indifférente à toute partialité, à tout "éclairage". <br /> On le voit fort bien d'ailleurs dans l'information financière : le fait de la hausse ou de la baisse d'une valeur codée est tout à fait incompréhensible et c'est la signification qu'elle a pour les acteurs de la finance qui peut éventuellement m'amener à faire mon opinion (pas définitive d'ailleurs).<br /> Les journalistes anglo-saxons ont d'ailleurs bien compris cela, et c'est ce qui fait la renommée sinon la supériorité de leurs pratiques. Ils ne font jamais mention des faits seuls mais toujours accompagnés de commentaires nominatifs. D'où l'inflation des "said Mr. X" et "reply Mr. W" que l'on peut entendre sur la BBC. <br /> Avec cette conséquence importante : dans le journalisme anglo-saxon (ou son idéal bien-sûr) le journaliste ne parle jamais en son nom et il n'y a aucune ambiguïté énonciative dans les propos relatés. Ces propos sont toujours identifiables comme ceux d'un tel ou un tel. Faites le test pour n'importe quel JT français et demandez vous si chaque énoncé émis est attribué ou attribuable à un énonciateur clairement identifié ! Mais alors, qui parle ?<br /> Dès lors l'opinion que peut former un citoyen n'est jamais qu'une composition-recomposition d'opinions, autour d'un ou de plusieurs faits. On y lie d'ailleurs en général d'autres opinions ou principes, dont on cherche à savoir s'ils s'appliquent intégralement aux nouvelles informations que nous recevons.<br /> <br /> Si le boulot d'un journaliste est, en ce sens, de relater des faits et des opinions qui ne sont pas les siennes, que vient faire ici la fausse opposition objectivité vs partialité du journaliste ? Que vient faire ici le "journaliste engagé" (celui qui "donnerait" son opinion?)?<br /> <br /> Il ne me semble pas un hasard que M. Loffreda situe l'idéologie du billet de PG dans le contexte de notre chère histoire à nous, et bien à nous...sans aucune mention du monde extérieur. Nous sommes en effet tout à fait écartelés entre la tentation lumineuse de l'Objectivité vierge de toute idée, c'est-à-dire inconsistante, et la fascination pour la figure de l'intellectuel(-journaliste), empêcheur de tourner en rond, qui décrète ses vérités comme des prises de consciences obligatoires.<br /> <br /> L'opinion est une construction, le journalisme est une composition d'opinions occasionnées par des faits. <br /> Être un compositeur, ou un metteur en scène, enfin, c'est encore exercer une forme d'influence, de partialité, mais d'un tout autre ordre!
P
Je pense comme FvG que le terme d'honnêteté est préférable à celui d'objectivité. Cela dit que peut bien être l'honnêteté pour un journaliste sinon d'abord l'engagement de rendre compte de la manière la plus fidèle des évènements qui surviennent, et notamment de ceux qui seraient susceptibles de contredire ses engagements en tant que citoyens?
P
je veux bien reconnaitre que "l'objectivité est un mythe", du moins l'objectivité absolue: mais ne doit-elle pas être l'objectif de celui qui a choisi la profession d'informer?
*
La question de l'objectivité, de l'impartialité, de l'engagement ou du non engagement, de la neutralité, etc. des médias en général et de chaque journaliste en particulier est passionnante et le débat loin d'être achevé.<br /> Pour apporter une modeste contribution :<br /> L'idéal serait que le journaliste soit avant tout "honnête" au sens de "l'honnête homme" cultivé, etc. et au sens moral et déontologique. Les écoles de journalisme devraient former les futurs journalistes à cette vertu. Mais dans nos sociétés modernes peut-on raisonnablement y croire? Peut-on compter sur la vertu individuelle du journaliste pour assurer cette "honnêteté" (différente de la bonne foi)? Comment le récepteur (lecteur,auditeur,téléspectateur) peut-il juger cette honnêteté?<br /> Comment opposer au nième pouvoir, celui de la presse, un contre-pouvoir? Nous avons peut-être les médias que nous méritons.<br /> Par des émissions du genre "arrêt sur images"? <br /> Par le droit de réponse? Une piètre réponse au problème?<br /> Faut-il une HACHE? -haute autorité de contrôle de l'honnêteté et de l'égalité!- Une agence de notation de cette honnêteté?<br /> Par une action directe des récepteurs questionnant les journalistes? D'où parlez-vous? Emettez-vous une opinion ou un point de vue? Quels sont les faits? Quels sont les commentaires?<br /> La liberté de la presse (une très belle idée) couvre souvent d'autres fins que celles d'une information "honnête", la pluralité permet certes un certain équilibre, mais c'est au récepteur d'exiger plus d'honnêteté. Internet, en (re)donnant au récepteur un rôle (l'internaute n'est plus seulement un consommateur) peut constituer un moyen de ce contre-pouvoir.<br /> Sans s'illusionner, on est en droit de l'espérer.<br /> FVG
vive les sociétés modernes - abécédaire
  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Publicité