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vive les sociétés modernes - abécédaire
19 septembre 2008

J comme Je

Le Je n'est pas moderne,

Le je n'est ni moderne, ni antique; il n'est d'aucun temps, mais présent dans tous les temps assurant au temps sa présence. Tout passe dans le monde humain. Sur le plan collectif d'abord, les sociétés changent, la culture, la politique, les valeurs, les religions, les idéaux ; rien ne garde une forme constante. Sur le plan individuel aussi, tout se modifie sans cesse : notre corps change, nos idées, nos désirs, nos croyances, nos émotions , nos pensées changent. Que reste-t-il de fixe? Qu'est-ce qui jamais ne change?

Le Je.

Non pas son ombre, le faux je, le moi pâle auquel nous l'identifions à tort constitué par le corps, le masque social, ou les pensées. Lui change comme un décor de théâtre. Le Je est la scène immobile.

Mais nous ne connaissons pas notre je.

Voici un texte qui nous montre ce que signifie que s'éveiller au je.

Ce texte est de Ramana Mahashi, le plus célèbre sage indien du XXème siècle. A l'age de 17 ans, seul dans sa chambre, il fait l'expérience de la présence du Je en lui. Il partira après sa découverte dans une grotte du sud de l'Inde, où viendront le voir des milliers de personnes, indiens comme occidentaux.

« Environ six semaines avant mon départ définitif de Madurai, il se produisit dans ma vie un grand changement. Ce changement fut soudain. J'étais seul dans une des pièces du premier étage, dans la maison de mon oncle. Je n'avais été malade que rarement, et ce jour-là ma santé était excellente; mais je fus pris soudain d'une violente peur de la mort. Rien dans mon état ne la justifiait, et je n'essayai pas d'en découvrir la raison; je me contentai de l'éprouver. Je me disais: « Je vais mourir », et je me demandais que faire. Il ne me vint pas à l'esprit de consulter un médecin, ou l'un de mes amis. Je sentais qu'il me fallait résoudre moi-même le problème, et sur le champ.

« Le choc causé par la peur de la mort forçait mes pensées à l'observation intérieure, et je me répétais mentalement, sans réellement formuler des paroles: « Maintenant que la mort est là, que signifie-t-elle ? Qu'est-ce que c'est que mourir ? C'est ce corps-là qui meurt! » Et aussitôt je dramatisais le fait de la mort. J'étais couché, les membres raides comme si j'étais mort réellement. J'imitais la situation d'un cadavre pour donner à mon enquête une réalité plus grande. Je retenais ma respiration, et serrais les lèvres pour qu'aucun son ne put s'en échapper, pour m'empêcher de prononcer le mot « je », ou tout autre mot. « Bon! me disais-je, ce corps est mort. On l'emportera complètement rigide au lieu de sa sépulture, où on le brûlera et le réduira en cendres. Mais suis-je mort par cette mort de mon corps ? Mon corps est-il « moi » ? Il est silencieux et inerte, mais je sens la pleine force de ma personnalité, et j'entends même la voix du « moi » au fond de mon être. Je suis donc un esprit qui transcende le corps. Le corps meurt, mais l'esprit, transcendant le corps, ne peut être touché par la mort. Ce qui veut dire que je suis un esprit immortel. »

« Ces pensées n'étaient pas obscures et ternes. Elles jaillissaient en moi telles d'éclatantes vérités, que je percevais directement sans que mes activités cérébrales fussent en jeu. Le « moi » était donc quelque chose de très réel, la seule chose réelle dans mon état présent, et toute l'activité consciente de mon corps se concentrait sur ce « moi ». Depuis cet instant, la puissance fascinante de ce « moi » se plaça au cœur même de toute mon attention.

« La crainte de la mort avait disparu, et pour toujours. L'absorption dans le « moi » se poursuivit sans interruption. D'autres pensées passaient et disparaissaient, pareilles à diverses notes de musique, mais le « moi » demeurait comme la basse continue, sous-jacente à toutes les autres notes, et se confondant avec elles.

« Que mon corps fût occupé à parler, à lire, ou à quoi que ce soit d'autre, tout mon être n'en était pas moins centré sur le « moi ». Avant cette crise, je ne le distinguais pas clairement, et je n'étais pas attiré consciemment vers lui. Je ne ressentais pour lui nul intérêt direct ou perceptible; encore moins inclinais-je à demeurer constamment en lui. »
(Ramana Maharshi) 1

José Le Roy

1Voici un autre texte écrit par Stephen Jourdain, philosophe, poète, mystique contemporain. A l'age de 17 ans, lui aussi, découvre en lui par un éveil, la présence du Je.

« C’était le soir, j’étais dans ma chambre, allongé dans l’obscurité, et je tournais et retournais dans ma tête depuis un long moment, probablement depuis une demi-heure, la petite phrase du Cogito de Descartes: “Je pense, donc je suis”. Il m’avait semblé, dans les jours précédents, entrevoir une prodigieuse vérité dans cette petite phrase, et j’essayais de retrouver cette vérité entrevue dans un éclair. Je réfléchissais depuis très longtemps, en me répétant inlassablement: “je pense, donc je suis”, et en faisant chaque fois le voyage depuis la réalité vivante qui en moi-même correspondait à “je pense” et “je suis” jusqu’à ce que ces mots, pour les charger, dans la petite phrase, de leur vrai sens. En m’efforçant de penser le Cogito avec ma vie. C’était un travail très difficile, j’étais épuisé, le déclic qui m’aurait révélé la signification mystérieuse de la phrase ne se produit pas, mais, à un certain moment, un autre déclic, que je n’attendais pas, a dû jouer. Un ressort secret qui devait être enfoui dans la conscience humaine depuis la Création, qui attendait son heure et que je viens d’effleurer par hasard.. Et l’événement s’est produit, avec une soudaineté surnaturelle.

Et tout d’un coup je me suis retrouvé dans un avant, un commencement insoupçonné de moi-même, veillant d’une veille sans limite, me sachant — et me sachant me sachant — et me sachant me sachant me sachant: à l’infini, et m’éprouvant totalement identique à cette veille, cet abîme d’auto-conscience, qui n’était point chose qui m’était donnée, mais au contraire qu’essentiellement je ne subissais pas, faisais moi-même brûler.

Et puis vlan! Quelque divinité, dans le royaume métaphysique, a tripoté un bouton, je me suis retourné comme un gant, et déjà cette chose insensée était là au milieu de moi, comme un membre vivant à la place d’une prothèse.

A brûle-pourpoint, je glisse dans une lucidité sans nom, achèvement inouï de l’aurore qu’on nomme conscience de soi. Cette lumière n’est pas un état passivement subi: c’est un acte que désormais je sais accomplir. Elle n’est point non plus, à proprement parler, une expérience que je fais: elle est moi, elle est exactement » Steve Jourdain.

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Commentaires
Y
Je considérais ce bijou signé par Raphaël Loffreda comme la "cerise sur le gâteau"*concluant ce passionnant débat. <br /> Mais en le relisant, je me tiens à nouveau les côtes, et je ne peux le garder sous silence.<br /> <br /> *mêmes destins!
R
Je ne comprends pas la citation biblique que vous invoquez dans le cadre de la discussion (sans connaître toutefois le passage ; auriez-vous la référence ?).<br /> <br /> Quant au corps, je persiste : je ne dis pas que nous sommes notre corps, que JE est dans notre chaire, mais (et malgré tout un lourd discours familial derrière), je ne peux non plus l'exclure trop radicalement. Cela ne signifie d'ailleurs pas que je vous donne tort ou que j'affirme avoir raison : les expériences sont multiples, particulièrement dans ce domaine où délimiter strictement une "vérité" n'aurait pas beaucoup de sens.<br /> <br /> Puisque vous avez invoqué le Christ, et dans un autre billet l'intestin, permettez-moi de vous soumettre un extrait tiré d'un roman de Kundera, et qui me semble pourvoir faire réfléchir sur l'essence de l'être, en écho à vos propos :<br /> <br /> " Quand j'étais gosse et que je feuilletais l'Ancien Testament raconté aux enfants et illustré de gravures de Gustave Doré, j'y voyais le Bon Dieu sur un nuage. C'était un vieux monsieur, il avait des yeux, un nez, une longue barbe et je me disais qu'ayant une bouche il devait manger. Et s'il mangeait, il fallait aussi qu'il eût des intestins. Mais cette idée m'effrayait aussitôt, car j'avais beau être d'une famille plutôt athée, je sentais que l'idée des intestins de Dieu était blasphématoire.<br /> Sans la moindre préparation théologique, spontanément, l'enfant que j'étais alors comprenait donc déjà qu'il y a incompatibilité entre la merde et Dieu et, par conséquent, la fragilité de la thèse fondamentale de l'anthropologie chrétienne selon laquelle l'homme a été créé à l'image de Dieu. De deux choses l'une : ou bien l'homme a été créé à l'image de Dieu et alors Dieu a des intestins, ou bien Dieu n'a pas d'intestins et l'homme ne lui ressemble pas.<br /> Les anciens gnostiques le sentaient aussi clairement que moi dans ma cinquième année. Pour trancher le problème maudit, Valentin, Grand Maître de la Gnose du IIe siècle, affirmait que Jésus "mangeait, buvait, mais ne déféquait point".<br /> La merde est un problème théologique plus ardu que le mal. Dieu a donné la liberté à l'homme et on peut donc admettre qu'il n'est pas responsable des crimes de l'humanité. Mais la responsabilité de la merde incombe entièrement à celui qui a créé l'homme et à lui seul."<br /> Milan Kundera, "L'insoutenable légèreté de l'être" (6e partie, 2).<br /> <br /> Certes, on pourrait dire à l'auteur que Dieu avait une bouche pour parler (et souvent ordonner) et non forcément pour manger ; on pourrait lui dire également que la merde, et les intestins qui vont avec, n'est un problème que pour ceux qu'elle dérange, tandis que les mouches ou autres petits êtres VIVANTS qui s'en nourrissent ne la voient pas du même oeil (et des mêmes papilles), et que donc finalement elle est un élément bien inscrit autour du "master plan" ; mais pour revenir à notre sujet, nos intestins, tout comme le reste de notre corps participent à ce que nous sommes (au sens de JE), sans heureusement nous résumer. Pourquoi sinon Dieu aurait ressenti le besoin de l'incarnation, de souffrir dans SON corps... ?<br /> <br /> RL
Y
"L'ancienneté d'une erreur ne lui confère pas le statut de vérité." P. Viansson-Ponté
Y
"JE" suis un affreux matérialiste, un moniste, qui ne connaît que le corps et sa vie, humaine, son entrée en scène, son beau ou son modeste rôle, sa sortie par la coulisse, son absence aux salutations finales, s'il y en a une un jour. <br /> Des états de transe, de dépersonnalisation, des crises mystiques, j'en ai rencontrées. C'est une capacité de l'être humain, effectivement. Il en a tellement. Tous les plombs ne pètent pas en même temps, et ils sont aussi doublés par des interrupteurs "manuels".<br /> <br /> Irrécupérable, mon cher José!
J
Je veux bien qu'on regarde du coté de la clinique mais je souhaite aussi que des esprits curieux sortent de leurs références pour aller voir ce que les mystiques et sages de toutes les traditions nous disent sur le "je " depuis des millénaires. <br /> Il me semble qu'un honnête esprit aujourd'hui n'a pas le droit de ne pas lire attentivement les textes et témoignages de ces hommes et femmes qui affirment avoir fait l'expérience en eux d'une dimension nouvelle.<br /> Qu'on lise Ramana Maharshi, Plotin, Maitre Eckhart, Longchenpa, Shankara, Ibn Arabi, Rumi saint-Jean de La Croix, Houei-Neng, Douglas Harding etc...<br /> Qu'on les médite, qu'on avance avec eux sur le chemin par eux ouverts, qu'on rencontre si possible des représentants vivants de ces traditions.<br /> <br /> Mais sinon, comment peut-on penser quoi que ce soit de sérieux sur ces textes?<br /> <br /> "La terre est plate , je vous l'affirme!" Mais, mon bon monsieur, Christophe Colomb en a fait le tour. Regardez ses cartes et faites vous même le voyage.<br /> <br /> amicalement<br /> <br /> jlr
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