Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
vive les sociétés modernes - abécédaire
19 juin 2008

J comme Justice (et civilisation)

Le lien entre les notions de justice et de civilisation est complexe.

D'un côté la notion de civilisation est difficilement dissociable de celle de justice. Là où l'idée de justice est inconnue, peut-on parler de civilisation? Le fait et le droit sont alors confondus et on est donc plus près de l'état de nature que de l'état de civilisation.

Mais d'un autre côté, il existe aussi une tension entre civilisation et justice. Le souci de la justice appelé par la civilisation n'est pas n'importe quel souci, mais un souci qui doit être lui-même civilisé c'est-à-dire libéré de la confusion entre la justice et la réciprocité: la justice civilisée n'est pas la réciprocité; elle ne consiste pas à appliquer à autrui ce qu'il a appliqué lui-même à son semblable: son principe, en matière pénale, n'est pas le talion. Elle consiste au contraire à accorder éventuellement à l'autre ce qu'il a refusé d'accorder; à le traiter comme il n'a pas traité lui-même les autres, et, plus encore, à lui reconnaître le droit d'exiger ce traitement non réciproque: qu'on pense par exemple aux exigences des chefs nazis à Nüremberg, réclamant pour eux-mêmes des droits dont ils n'avaient cessé de nier la légitimité et qu'ils avaient constamment refusés à leurs victimes.

Ce principe de non réciprocité ne vaut pas simplement dans le domaine du droit pénal.

Il vaut aussi dans le domaine du droit constitutionnel: ainsi dans un pays civilisé la liberté politique est accordée à tous, y compris donc à ceux qui en sont les ennemis; et la liberté d'expression n'est pas refusée à ceux qui en contestent le bienfondé.

Il vaut encore dans le domaine du droit des gens (ou droit international) : dans un pays civilisé, l'accueil et le statut des étrangers n'est pas déterminé par la manière dont les pays d'origine de ceux-ci se comportent eux-mêmes avec les étrangers.

Si l'on tient à maintenir le lien qui unit la justice à la réciprocité alors il convient de distinguer la réciprocité (immédiate ou en miroir) dont la devise est de faire à autrui comme il nous a fait: et celle (de second degré ou oblative) qui nous demande de le traiter comme on aurait voulu qu'il nous traite. Cette dernière forme de réciprocité (appelée aussi Règle d'or) est très différente de la première, bien plus difficile, mais seule conforme à la civilisation.

Ce n'est que par la pratique de la "réciprocité en miroir" qu'on peut espérer étancher la soif immédiate de justice des hommes*; une justice fondée sur la "réciprocité oblative" est nécessairement plus frustrante et parfois déstabilisante, mais la civilisation est à ce prix; et être civilisé c'est donc aussi accepter de voir sa passion de la justice partiellement déçue.

Pierre Gautier

* "Beaucoup penseront devant les ruines de Berlin et de Dresde: c'est bien le moins qu'on leur devait; et ils jugeront peut-être que ce peuple responsable de la plus grande catastrophe de l'histoire s'en tire encore à bon compte." (L'imprescriptible, V.Jankélévitch) 

Publicité
Publicité
Commentaires
Y
Les idées abstraites de justice et d'injustice font, sans difficulté, l'unanimité. <br /> Quand il s'agit des contenus et des résultats, c'est une autre affaire.
J
Je ne cherche pas à cultiver le paradoxe,et accorde volontiers à Pierre que nos moeurs sont plus policées(quel drôle d'adjectif)que celles des époques barbares;cependant ,par exemple j'ai entendu dire:<br /> -que ,des "évènements d'Algérie" à Guantanamo,il est arrivé que le pouvoir fasse plus que de tolérer la torture.<br /> -que la peine de mort est encore appliquée dans des pays (USA,Japon..)qui sont généralement considérés comme civilisés.<br /> -que le traitement des inculpés dans les prisons françaises n'est pas toujours à l' honneur du pays des droits de l'homme.<br /> Enfin ,il semble que la brutalité de la chasse aux "sans-papiers" et de leur expulsion,ne soit pas sans rappeler la cruauté des Dragonnades et du bannissement des protestants sous Louis XIV.<br /> (Il est vrai que c'était "le Grand Siècle" !)
Y
Les remarques de J.Fauré sur la relativité de la Justice sont pertinentes. L'évolution des sociétés vers toujours plus de reconnaissance de l'individualisme et de ses revendications, crée deux ordres de résistance: celle de"l'ordre public" dérangé et questionné par les demandes nouvelles, celle de "l'ordre moral", engrammé dans les esprits et constituant des normes.<br /> Une adaptation de la société à une demande nouvelle nécessite le changement des lois, particulièrement en France, où la Loi doit être écrite dans ses moindres détails et cas de figure possibles, et aussi celui des mentalités, dont la tendance s'exprime, dans notre monde, par le vote.<br /> Mais tellement mal qu'il faut parfois la mettre devant le fait accompli, comme ce fut le cas pour l'abolition de la peine de mort. Il y a bien d'autres évolutions qui se font bien avant qu'une approbation majoritaire ait été acquise. Notre système parlementaire le rend possible, car il permet une réflexion avec moins de passion.<br /> Seuls ceux qui sont pressés de voir un changement (à leur profit) pensent que la Société et sa Justice sont par trop réactionnaires.
P
Quand tu rappelles les différents moments de l'histoire de la justice, je ne peux m'empêcher de penser qu'il s'agit certes d'une notion changeante, mais aussi qu'à travers ces changements un certain nombre de progrès ont été réalisés, même si effectivement, étant juges et parties, il nous est impossible de porter un jugement indiscutable: par exemple j'ai du mal à penser que la dépénalisation de l'homosexualité ou encore l'abolition de la peine de mort (mais on pourrait multiplier indéfiniment les exemples) ne soient pas les expressions non pas simplement d'un changement mais d'un aprofondissement de la notion de justice (ce que n'exprime pas l'idée de notion relative). Approfondissement à poursuivre.
J
Je n'ai parlé de l'esclavage qu'à titre d'exemple,et voulais seulement souligner(ce qui est une banalité)que ce qu'on appelle "Justice" n'est qu'un des reflets des moeurs en vigueur à une époque et dans un lieu donné.Elle a constamment varié:<br /> -Dans ses principes:(loi du talion,jugement de Dieu, Charia, droit coutumier,code Napoléon.....)<br /> -Dans ses punitions:(torture,exécution capitale,banissement,galères,enfermement.....)<br /> -Dans ce qui était considéré comme déviant et punissable:(homosexualité adultère infanticide, avortement,nudité,hérésies,insoumission.....)<br /> Sa raison d'être est de préserver les valeurs de la société,érigées en dogme par une sorte de contrat(voir Epicure)entre ses membres.<br /> Nous pouvons difficilement juger de la valeur de celle qui nous régit car chacun de nous est à la fois juge et partie.<br /> Quant à penser que la justice est l'égalité !<br /> Crois-tu,malgré le principe officiel suivant lequel nous sommes tous égaux devant la Loi,que tous le sont devant la Justice ?
vive les sociétés modernes - abécédaire
  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Publicité