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vive les sociétés modernes - abécédaire
10 juin 2008

J comme Jeunesse (et morale)

On distingue parfois aujourd'hui les morales (ou éthiques)1 maximalistes et les morales minimalistes2. Pour les premières nous avons des obligations morales non seulement à l'égard d'autrui (notamment celle de ne pas lui nuire délibérément) mais à l'égard de nous-mêmes (en particulier à l'égard de notre intégrité physique et psychique)3. Pour les minimalistes en revanche la notion d obligation morale n'a de sens qu'envers autrui; une obligation envers soi-même est un non sens: tant que je ne nuis pas à autrui je suis libre de faire ce que je veux, y compris de me détruire partiellement ou totalement, et ce faisant je ne transgresse aucune règle ni juridique ni morale, je ne commets ni délit ni faute4.

Si le genre humain n'était composé que d'adultes, la position minimaliste ne me ferait pas trop problème; je serais même sensible à sa dimension résolument antipaternaliste. Mais l'humanité est aussi composée d'enfants et de jeunes gens auxquels il faut dispenser un jour une éducation morale, dont l'objet sera de leur donner un certain nombre de repères sur la valeur humaine des différentes manières d'agir. Or peut-on sérieusement penser que la morale minimaliste suffise à cette éducation? Puis-je me contenter de dire à un jeune homme que la seule distinction légitime est celle qui sépare les actions nuisibles pour autrui et celles qui ne le sont pas? Que, dès lors qu'il ne porte pas tort à autrui, tout ce qu'il peut faire de son temps et de sa vie a une égale valeur humaine? Qu'il est indifférent moralement, aussi longtemps qu'il ne nuit à personne, qu'il utilise son temps pour s'étourdir (par la drogue ou devant la télévision) ou pour tenter de mener à bien les projets qu'il a formés(la seule différence entre ces deux genres de vie étant que la première risque fort d'être moins favorable à son bien-être futur que la seconde)?

Se trouver dans l'impossibilité, au nom du minimalisme moral, d'expliquer à un enfant la supériorité humaine des vies actives sur les vies passives (vouées à la seule consommation par exemple) n'est-ce pas en fait renoncer à toute éducation morale, voire à toute éducation tout court?

Pierre Gautier

1Contrairement à certains auteurs mais comme beaucoup d'autres, je tiens ces deux termes pour synonymes: rien dans leur étymologie ne justifie qu'on les distingue: les deux renvoient à l'idée de moeurs mais l'un à partir de grec (ethos) l'autre à partir du latin (mores). Je n'interdis toutefois à personne de les distinguer mais encore une fois l'étymologie ne l'exige nullement.

2Voir notamment le livre de Ruwen Ogien : L'Ethique aujourd'hui, maximalistes et minimalistes.(Folio Essais)

3« Agis de telle sorte que tu traites l'humanité en toi comme dans la personne d'autrui jamais simplement comme un moyen mais toujours en même temps comme une fin » (Kant) Autrement dit selon Kant la loi morale nous interdit non seulement d'instrumentaliser autrui mais de nous instrumentaliser nous-mêmes.

4« Tant que la conduite d'un individu n'affecte les intérêts de personne d'autre que lui-même (...) il devrait avoir une entière liberté légale et sociale d'entreprendre n'importe quelle action et d'en assumer les conséquences » JS Mill De la liberté)

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Commentaires
Y
what else?
P
Mais si, mais si, cher Yves Leclercq! Ce qui n'empêche pas les nuances. Socrate et Jésus condamnent le talion pour des raisons que je crois différentes, mais il reste, et c'est l'essentiel, qu'ils le condamnent tous les deux; condamnation qui n'est pas une petite chose selon Socrate lui-même: "Par conséquent, il ne faut pas répondre à l'injustice par l'injustice et faire de tort à qui que ce soit, quel que soit le mal subi. Et ne va pas, Criton, me donner ton accord sur ce point en allant contre l'opinion qui est la tienne. Je sais bien, en effet, que fort peu de gens partagent cette opinion, et qu'il continuera d'en être ainsi".
Y
Il a bien, bien longtemps, dans un collège catholique où je faisais ma seconde, j'ai eu à traiter la question: "comparer la morale chrétienne et celle de Socrate" (bizarre en seconde, mais...)<br /> Ne sachant pas grand chose de Socrate, mais bien sûr davantage du message évangélique, je suis arrivé, je ne sais pas comment, à conclure que les deux morales étaient comparables.<br /> <br /> J'ai eu zéro pour "hérésie".<br /> <br /> J'en suis toujours fier!<br /> Après avoir lu le commentaire de PG, je ne devrais plus!
P
Le minimalisme moral est en profonde rupture (et pourquoi pas?) avec la réflexion morale traditionnelle, du moins celle qui prend sa source dans l'Antiquité. En effet pour les penseurs grecs la question morale, "Comment dois-je vivre?", est très loin de se limiter à celle de savoir quelles sont mes obligations à l'égard d'autrui. L'accent principal est non « «autrui » mais le "je", ce "je" étant un caractère moral à former. Rien de plus significatif à cet égard que la manière dont Socrate rejette le droit de rendre le mal pour le mal: « Il ne faut jamais faire du tort en retour, ni jamais faire du mal à aucun être humain, quoi qu'il nous ait fait subir » (Platon Criton); et s'il faut s'en abstenir ce n'est nullement par souci de l'humanité de mon agresseur mais par souci de soi, de sa qualité d'homme juste: la justice chez quelqu'un ne peut pas plus produire de mal que le chaud ne peut produire du froid et le sec de l'humide (Platon République 335d). Autrement dit Socrate n'est pas Jésus: et s'il rejette le talion ce n'est pas parce qu'il faut aimer ses ennemis mais parce qu'il faut se protéger soi-même du mal. Pour les Anciens la morale est d'abord rapport à soi.
Y
Le but d'un totalitarisme n'est pas le bien des citoyens, mais le triomphe d'une abstraction: nation, peuple, prolétaires, révolution, etc. <br /> Sa "morale" est assujettie au but. Est "moral" ce qui contribue à son succès, est "immoral" ce qui l'affaiblit, le retarde. Il y a les bons salauds et les ennemis du peuple.<br /> <br /> La régression des libertés dans les sociétés modernes, dont la nôtre, est la conséquence de la confusion entre liberté et licence, ou de l'adhésion de certains à ce minimalisme décrit par PG. <br /> Même démocratiques, les sociétés ne peuvent pas toujours attendre que chaque citoyen ait pris conscience de la nuisance de telle ou telle liberté qu'il s'accorde. <br /> Il n'y a aucune transcendance d'une abstraction dans le but des interdits qui reviennent sur une ou plusieurs libertés. C'est le bien de tous qui est visé, à la suite de la constatation d'effets nocifs(tabac, drogue, plomb des carburants, etc)
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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