J comme Jeunesse (et morale)
On distingue parfois aujourd'hui les morales (ou éthiques)1 maximalistes et les morales minimalistes2. Pour les premières nous avons des obligations morales non seulement à l'égard d'autrui (notamment celle de ne pas lui nuire délibérément) mais à l'égard de nous-mêmes (en particulier à l'égard de notre intégrité physique et psychique)3. Pour les minimalistes en revanche la notion d obligation morale n'a de sens qu'envers autrui; une obligation envers soi-même est un non sens: tant que je ne nuis pas à autrui je suis libre de faire ce que je veux, y compris de me détruire partiellement ou totalement, et ce faisant je ne transgresse aucune règle ni juridique ni morale, je ne commets ni délit ni faute4.
Si le genre humain n'était composé que d'adultes, la position minimaliste ne me ferait pas trop problème; je serais même sensible à sa dimension résolument antipaternaliste. Mais l'humanité est aussi composée d'enfants et de jeunes gens auxquels il faut dispenser un jour une éducation morale, dont l'objet sera de leur donner un certain nombre de repères sur la valeur humaine des différentes manières d'agir. Or peut-on sérieusement penser que la morale minimaliste suffise à cette éducation? Puis-je me contenter de dire à un jeune homme que la seule distinction légitime est celle qui sépare les actions nuisibles pour autrui et celles qui ne le sont pas? Que, dès lors qu'il ne porte pas tort à autrui, tout ce qu'il peut faire de son temps et de sa vie a une égale valeur humaine? Qu'il est indifférent moralement, aussi longtemps qu'il ne nuit à personne, qu'il utilise son temps pour s'étourdir (par la drogue ou devant la télévision) ou pour tenter de mener à bien les projets qu'il a formés(la seule différence entre ces deux genres de vie étant que la première risque fort d'être moins favorable à son bien-être futur que la seconde)?
Se trouver dans l'impossibilité, au nom du minimalisme moral, d'expliquer à un enfant la supériorité humaine des vies actives sur les vies passives (vouées à la seule consommation par exemple) n'est-ce pas en fait renoncer à toute éducation morale, voire à toute éducation tout court?
Pierre Gautier
1Contrairement à certains auteurs mais comme beaucoup d'autres, je tiens ces deux termes pour synonymes: rien dans leur étymologie ne justifie qu'on les distingue: les deux renvoient à l'idée de moeurs mais l'un à partir de grec (ethos) l'autre à partir du latin (mores). Je n'interdis toutefois à personne de les distinguer mais encore une fois l'étymologie ne l'exige nullement.
2Voir notamment le livre de Ruwen Ogien : L'Ethique aujourd'hui, maximalistes et minimalistes.(Folio Essais)
3« Agis de telle sorte que tu traites l'humanité en toi comme dans la personne d'autrui jamais simplement comme un moyen mais toujours en même temps comme une fin » (Kant) Autrement dit selon Kant la loi morale nous interdit non seulement d'instrumentaliser autrui mais de nous instrumentaliser nous-mêmes.
4« Tant que la conduite d'un individu n'affecte les intérêts de personne d'autre que lui-même (...) il devrait avoir une entière liberté légale et sociale d'entreprendre n'importe quelle action et d'en assumer les conséquences » JS Mill De la liberté)