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vive les sociétés modernes - abécédaire
20 mai 2008

I comme Identité (visage et modernité)

La question de l'identité n'est certainement pas seulement moderne; les hommes ont cherché à répondre à la question «Qui suis-je? » au moins depuis les grecs dans notre civilisation, en témoigne l'impératif au fronton du temple de Delphes attribué à Apollon: « Connais toi toi-même »,  et fort probablement avant encore.

Socrate et Platon firent de la question de la connaissance de soi un enjeu central de la philosophie Dialoguant avec le jeune Alcibiade, Socrate veut le convaincre que l'homme n'est pas un corps mais une âme qui possède un corps. Après une démonstration rigoureuse Socrate conclut : « Quand Socrate s'entretient avec Alcibiade par un échange de propos, ce n'est pas à ton visage qu'il parle, mais c'est à Alcibiade lui-même ; or Alcibiade c'est ton âme. »

Il est intéressant de noter que Platon lie ainsi le problème de l'identité avec le visage : Alcibiade se trompe en s'identifiant avec son visage; il confond son essence (l'âme) et son apparence (la tête). Et c'est par cette question du visage que je voudrais montrer comment la modernité ouvre de nouvelles perspectives sur notre identité.

Nous sommes le visage, ou du moins nous le croyons. C'est la photo de notre visage qui se trouve sur notre carte d'identité pas celle du pied, ou celle du foie. Je ne suis pas mon pied; j'ai un pied; j'ai un foie, mais je suis mon visage. Quand je vois une photo de ce visage ou quand je le vois dans le miroir, immédiatement, je me reconnais.

Que se passerait-t-il si je changeais de visage?

Cette question n'est pas seulement théorique (mais il ne me semble pas que la philosophie l'ait jamais envisagée, si je puis dire...); aujourd'hui grâce aux progrès techniques de la greffe, l'hypothèse est effective : on peut changer de visage.

La première greffe partielle a été effectuée en novembre 2005 par une équipe française après une opération de 15 heures sur Isabelle Dinoire dont le visage fut arraché par son chien pendant son sommeil. Certes, la greffe n'a été que partielle, mais les progrès rendront bientôt possible une greffe totale.

Cette opération a soulevé des problèmes éthiques et psychologiques mais la réflexion à mon sens n'a pas été menée à son terme. On s'est demandé simplement comment le patient allait vivre avec un autre visage ou avec un visage en partie modifié sans jamais remettre en cause la croyance de notre identification avec le visage. Mais si je peux changer de visage, c'est que je ne le suis pas. J'ai un visage, comme j'ai un pied.

Qui suis-je alors? Quelle est notre identité véritable?

Le visage est notre apparence, mais non l'essence. C'est ce que nous avait appris Platon et que la technique vient confirmer. Regardons notre visage dans le miroir pour découvrir non pas ce que nous sommes, mais ce que nous ne sommes pas."

Cette découverte que notre identité est au-delà du visage est bien présente aussi dans d'autres cultures :

dans le bouddhisme

  «Le Zen est comme un grand feu; si l’on s’en approche, on est sûr d’avoir le visage brûlé. Ou encore, c’est une épée (...) et sa destination est de couper la tête.» Tai-houei (Tch’an)

« Quand vous commencez à sentir que vous n'avez plus de tête, n'ayez plus peur; venez immédiatement me voir. Ce sera le bon moment. Le moment où je pourrai vous enseigner quelque chose. » HUI-HAÏ (Tch'an)

dans le sufisme (islam)

« Quelle merveille que le chemin d'amour où le sans - tête est révélé! » Hafiz (sufi)

« Décapitez-vous » Rûmi (Sufi)

.

José Le Roy (auteur de S'éveiller à la vacuité, ed. Accarias-Originel 2OO7)

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Commentaires
Y
bonjour,<br /> <br /> votre remarque me bouscule, dans mes retranchements, effectivement. <br /> <br /> Cette descente en soi que permet la psychanalyse n'est pas un égarement. Je ne le qualifierais pas d'infrapersonnel,, puisqu'au contraire ce sont ses propres fondations, les triviales, que l'on approche.<br /> Je vous accorde que cette opération éloigne des autres autant qu'elle dure...pas très longtemps, justement.<br /> <br /> Ce que vous lui opposez, l'expérience du transpersonnel, terme qui me semble désigner une communication réelle avec les autres qui ne passerait pas par le truchement des mots, c'est ce que je pense impossible et donc , selon "moi", illusoire.
J
bonjour,<br /> <br /> on ne peut identifier le bouddhisme et la psychanalyse, même celle de lacan, car pour le premier il y a une possibilité de se libérer de l'illusion du moi par le haut, en découvrant le transcendant, l'absolu appelé le non-né, la nature de Bouddha , tathagatagarbha, ce qui n'est pas du tout le cas de la psychanalyse où on retombe plutôt dans l'infrapersonnel (l'inconscient, les pulsions, le mécanisme du corps). Pour le bouddhisme, on s'éveille au transpersonnel, pour la psychanalyse, on se perd dans l'infrapersonnel.<br /> <br /> amicalement<br /> <br /> josé le roy
Y
Ces remarques sur le "moi" et les incertitudes de sa définition, de sa délimitation, rejoignent les critiques de Lacan et sa préférence pour le concept de "sujet",qui englobe dans sa souveraineté l'inconscient.<br /> Dans la pratique, non seulement de la psychanalyse, mais aussi de soi-même au quotidien, si on revient sur ce qu'il était un instant auparavant, on ne peut que constater sa variabilité, son opportunisme, la manipulation qu'il semble transmettre.<br /> Le MOI est ce qu'on est dans l'instant. Mais pas nécessairement pour toujours.<br /> 'Je t'ai dit ça, mais je ne le pensais pas!"<br /> Qui ne l'a jamais entendu?
J
Cette référence est interessante et on la retrouve presqu'à l'identique chez un des grands philosophes bouddhistes Candrakirti dans le Madhyamakavatara; le moi est comparé à un char et non à un bateau mais avec la même interrogation.<br /> 1-le char est-il différent de ses parties,<br /> 2-le char est-il identique à ses parties?<br /> 3-le char est-il possesseur en propre des ses parties?<br /> 4-le char dépend-il de ses parties?<br /> 5-Le char est-il la base de ses parties?<br /> 6-Le char est-il la simple réunion des ses parties?<br /> 7-Le char est-il la forme et la réunion de ses parties?<br /> Conclusion "On ne peut établir l'existence du char ni en termes de réalité ultime, ni en termes de réalité conventionnelle du monde." ainsi le soi n'existe pas; c'est la théorie du non-soi bouddhiste.<br /> <br /> amicalement<br /> <br /> josé le roy
P
Pour poser le problème de l'identité, depuis l'antiquité grecque on évoque l'énigme du bateau de Thésée* dont toutes les pièces ont été successivement remplacées: est-ce encore le même bateau alors que tout ce qui compose le bateau originel a changé?<br /> <br /> *« Le vaisseau sur lequel Thésée s'était embarqué avec les autres jeunes gens, et qu'il ramena heureusement à Athènes, était une galère à trente rames, que les Athéniens conservèrent jusqu'au temps de Démétrios de Phalère. Ils en ôtaient les vieilles pièces, à mesure qu'elles se gâtaient, et les remplaçaient par des neuves qu'ils joignaient solidement aux anciennes. Aussi les philosophes, en se disputant sur ce genre de sophisme qu'ils appellent croissant, citent ce vaisseau comme un exemple de doute, et soutiennent les uns que c'était toujours le même, les autres que c'était un vaisseau différent. » (Plutarque, 75 AD [traduction de Dominique Ricard 1862], Vie de Thésée, paragraphe 23)
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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