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vive les sociétés modernes - abécédaire
10 janvier 2008

F comme Filiation (biologique et/ou volontaire)

Il existe dans nos sociétés deux modes de filiation : la filiation biologique par laquelle les géniteurs deviennent parents, et un mode de filiation par la volonté, celle qui est mise en œuvre par l’adoption. La coexistence de ces deux modes est utile et légitime.

Quelques partisans extrémistes de la filiation volontaire voudraient aller plus loin et que celle-ci soit substituée à la filiation biologique ; on passerait ainsi d’une filiation subie/passive, à une filiation choisie, d’une filiation en quelque sorte encore animale à une filiation proprement humaine. Après tout ce qui fait un parent n’est-ce pas plutôt l’amour que le sang ou les gènes ?[1]

L’idée peut paraître séduisante et nul ne doute que la volonté associée à l’amour puisse être créatrice de filiation ; mais l’hégémonie de la volonté dans ce domaine ne recèle-t-elle pas un danger majeur ? Si la loi entérine le fait que la volonté seule est créatrice de la filiation, mettre au monde un enfant inversement n’impliquera plus le devoir d’en devenir le père ou la mère : c’est aller vers une dérive désastreuse.

Il est certes des cas où la défaillance de la volonté pour des géniteurs d’être parents doit être prise en compte et assumée par la société ; c’est le cas de l’accouchement sous X.[2] La loi doit essayer d’ assurer au mieux une filiation aux enfants nés dans ces conditions ; mais elle ne saurait favoriser l’émergence d’une situation où, pour avoir des parents, les enfants deviendraient tributaires de la seule volonté appuyée sur des droits, sans pouvoir compter sur le devoir de les élever assorti à la filiation biologique.

Le principe de la filiation biologique (qui n’a rien d’animal puisqu'elle reçoit le label humain par la nomination) n’institue pas d’abord un droit mais un devoir moral et légal, celui d’être le père ou la mère de l’enfant dont je suis le géniteur ; celui de la filiation volontaire institue un droit : celui de devenir, si je le veux, le père ou la mère d’un être que je n’ai pas engendré. Il peut et doit heureusement compléter le premier mais comment pourrait-il le remplacer complètement?

Pierre Gautier

[1] « Un lien de filiation ne serait jamais porté que par la volonté (…) Réciproquement nul ne serait tenu de reconnaître un enfant qu’il a mis au monde ou qu’il a conçu » (Marcela Iacub, L’Empire du ventre) 

   « Si la filiation se réduit à la rencontre d'un spermatozoïde et d’un ovule, on est vraiment dans une conception vétérinaire de la chose. » ou « Ce n’est pas une contrainte naturelle qui noue le lien entre l’adulte et l’enfant mais une manifestation de la volonté » (Daniel Borrillo) 

[2] Entre 400 et 500 femmes, en France, accouchent chaque année sous X. Ce choix ne peut pas être assimilé automatiquement à une attitude de fuite ; au contraire il implique le plus souvent une démarche responsable qui n’est pas sans nécessiter de la lucidité et même courage et générosité ( voir le livre de Catherine Bonnet Un geste d’amour, l’accouchement sous x).

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Commentaires
P
Il me semble que ce qui caractérise la situation actuelle, c'est un double processus: certainement une tendance à la dissociation de la procréation par rapport à la sexualité; mais cette première tendance est largement contrebalancée par un mouvement en quelque sorte inverse: je veux parler de l'exigence toujours plus marquée des enfants à connaître leurs géniteurs: quelle sera la résultante?
P
Quelques références suppléméntaires:<br /> Les débats sur la filiation opposent deux idéologies, "l'idéologie d'un enfant patrimoine, d'un enfant propriété, que l'on conçoit comme on sème un champ, contre celle d'un enfant-avenir, d'un enfant-désir, qu'on nourrit comme un espoir, en lui donnant toutes les chances de se réaliser" R.Benyamina, "Hétéroclite")<br /> Les partisans d'une filiation uniquement volontaire (LGTB Lesbiennes Gays Bisexuel-le-s et transexuel en tête) se revendiquent notamment de la récente législation québécoise qui présume la «paternité» de la conjointe d’une femme qui a eu recours à une insémination avec donneur anonyme (sans guillemets dans la loi)!!!<br /> Ce qui fait dire à la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, pourtant favorable à la cause homoparentale: "Ce concept (de projet parental" – d’autant plus dangereux, je l’ai dit, qu’il figure déjà dans la loi – induit une représentation qui privilégie la volonté consciente, gommant totalement le rôle du corps et de ses significations symboliques. Or le corps, ce n’est pas un tas de chair".<br /> à suivre peut-être.
Y
J'apprécie beaucoup la longue conclusion, avec sa note d'humour, de JCH. <br /> Le Droit à l'enfant, qui est venu s'accoler à la liberté(d'enfanter ou nom) remis à la femme, s'est effectivement transformé en une compétition entre la revendication maternelle, le savoir faire des sciences de la procréation, d'un côté, et le corps maternel ,pour le coup rebelle, ou présumé atteint par la limite d'âge, , de l'autre.<br /> <br /> Un enfant extorqué de cette manière est supposé devoir être investi par beaucoup d'amour, à la hauteur des efforts et des sacrifices. <br /> <br /> Ce qui reste universel, dans le temps et dans l'espace, c'est l'accueil et la nomination du nouveau-né par le groupe, l'instituant comme sujet mineur, et fixant ses droits.
J
Il est sûr qu'il vaut mieux qu'un parent soit aimant, plutôt qu'indifférent! Disant à mon tour cela, je ne suis pas, Vincent, en train de commencer à reconnaître, bon gré mal gré, une vérité qui mettrait à mal mon attachementà la filiation naturelle. Et j'avais déjà dit que l'amour parental pouvait être porté à des enfants qu'on savait ne pas être biologiquement siens... qu'un homme peut être le père affectueux d' enfants qu'il croit à tort être siens et, plus souvent encore, qu'on choisit heureusement d'aimer<br /> des enfants que l'on n'avait pas décidé d'avoir! Mais l'amour parental étant concevable dans tous les cas de filiation(naturelle ou biologique), je ne vois pas en quoi cela mènerait à envisager plus particulièrement les atouts supérieurs de la filiation volontaire!<br /> Quant aux structures et aux héritages, le pluriel même que je leur ai donné témoigne qu'en effet, comme tous les usages humains, ils ont pu varier et que je ne prétends nullement en fixer l'évolution. Ce qui ne m'empêche pas de penser que certains, plus que d'autres, illustrent notre humanité, dans ce domaine comme dans tant d'autres. La figure du Romain antique élevant pour le reconnaître celui de ses enfants (de filiation naturelle) pour qui il sera un père (par filiation volontaire)n'est belle que pour qui oublie le sort précaire ou affreux reservé à ceux qui n'étaient pas ainsi privilégiés.<br /> Je remarque par ailleurs que Jacques et Vincent en appellent à la nécessité qu'il y aurait de s'adapter à l'arsenal des diverses modalités, actuelles et futures, d'assistance à la procréation. Mais outre qu'il n'est pas systèmatiquement souhaitable que tout ce qui est possible entre dans le champ du permis, il me semble que ce que la technique permet, c'est de pallier (et tant mieux!) certains des dysfonctionnements du mode de filiation biologique, non de préparer les outils d'une dé-naturation de la filiation.<br /> Mais je ne souhaite pas entrer dans un débat sur des questions pour lesquelles je n'ai pas de compétences particulières... seulement des étonnements, et quelques agacements! Agacement, en particulier devant ce qui m'est apparu, selon ce que nous en dit Pierre, comme un nouvel avatar du mèpris pour les choses de la nature et le corps, mèpris éclatant dans les propos d'Armande à propos du "vulgaire dessein" de se marier et des "grossiers plaisirs" qui en sont les suites.<br /> "Ne concevez-vous point ce que, dès qu'on l'entend,<br /> Un tel mot à l'esprit offre de dégôutant,<br /> De quelle image on est par lui blessée,<br /> De quelle sale vue il traîne la pensée?"<br /> Il m'a semblé entendre l'écho de ces frissons dans la réduction de la filiation biologique à je ne sais quelle affaire vétérinaire. Me rangeant au nombre des "gens grossiers," des "personnes vulgaires" et autres "femmes sensibles", soumis aux "lois de la partie animale, dont l'appétit grossier aux bêtes nous ravale", je laisserai les contempteurs de.... l'Empire du ventre imaginer toute une panoplie de parentalités modernes, alternatives et branchées. <br /> Que la sexualité ait été decouplée (libérée) de la reproduction, tant mieux! Est-ce une raison pour éloigner la reproduction... de la sexualité? Si telle était la tendance, ça ne serait pas, à mon avis à mettre au crédit des sociétés modernes. <br /> JCH<br /> PS Les citations entre guillements renvoient à la première scène des Femmes Savantes.
V
A lire JCH on pourrait croire que les "structures et héritages qui font notre humanité" ont été toujours et partout les mêmes. Ce n'est guère conforme à ce que nous apprend l'anthropologie, notamment en ce qui concerne les règles de la filiation. Pourquoi figer l'évolution? Surtout si les règles actuelles ne sont plus vraiment adaptées aux nouvelles possibilités de procréation.<br /> Ne faudrait-il pas commencer à reconnaître que pour un enfant un "parent volontaire" aimant peut être préférable à un "parent biologique" indifférent?
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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