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vive les sociétés modernes - abécédaire
20 novembre 2007

E comme Egalité des chances (exigence d'égalité, de justice ou de fraternité?)

L’idée d’égalité ne peut pas être traitée sous une seule rubrique, parce qu’elle est toujours dépendante d’un attribut qui la caractérise de façon variable.

L’égalité des chances est une expression en vogue. Elle prétend dépasser le conflit entre l’égalité juridique et politique - qui est jugée insuffisante - et l’égalité sociale absolue, qui paraît impossible et périlleuse pour la liberté.

Son argumentaire est le suivant.  Pour que la compétition sociale soit juste, il ne suffit pas qu’on applique également à tous les mêmes règles : il faut que tous aient les mêmes chances au départ. Or les uns partent avec des atouts de naissance qu’ils n’ont pas mérités, et les autres avec des handicaps de naissance, dont ils ne sont pas fautifs.

Cette inégalité des chances au départ de la compétition peut être intrinsèquement injuste. La discrimination sexuelle ou ethnique est un exemple de handicap injuste. Dans ce cas, il est juste de rétablir l’égalité des chances. 

Mais les individus sont de toute façon inégaux au départ, sans que cette inégalité soit ni injuste ni juste. Celui qui est né dans une famille d’enseignants a statistiquement plus de chances d’être bon en classe, de travailler mieux et de réussir mieux. Il devra donc en grande partie son désir et ses aptitudes à la réussite scolaire à son milieu culturel d’origine.

Faut-il en conclure que l’inégalité des chances rend la compétition injuste ?

La justice voudrait-elle que les compteurs de la vie soient remis à zéro pour tous les partants à chaque génération ? Cela exigerait qu’on supprime la transmission familiale sous toutes ses formes, qu’on sépare les enfants de leurs parents, qu’on les mette dans des internats dont la mission serait de réduire aussi les différences naturelles. Quitte, s’il le faut, à brider les trop bien dotés. Cela a été expérimenté. L’usage du numerus clausus restreignant l’entrée des universités aux enfants issus de l’ancienne bourgeoisie, qui fut pratiqué dans les régimes socialistes, illustrait clairement le principe de l’égalité des chances.

Mais pourquoi une société fondée sur l’égalité en droits doit-elle combattre les inégalités dont elle n’est pas la cause, quand ces inégalités ne sont pas injustes en soi?

Ce ne peut être que si l’on considère la société comme une famille voulant au-dessus de toute autre considération, assurer la réussite égale de tous ses enfants. Une famille égalitariste. Car si tous les partants sont absolument égaux au départ, ils seront forcément égaux à l’arrivée. L’égalité des chances conduit à l’égalité des résultats. À l’égalitarisme.

La société moderne n’est pas une famille, et encore moins une famille égalitariste. Elle est une association d’hommes libres et égaux en droits. Ce n’est pas au nom la liberté, ni de l’égalité, ni de la justice, qu’elle peut choisir d’aider davantage ceux qui sont les moins bien dotés au départ. C’est au nom de la fraternité, ou de la solidarité, et aussi de l’intérêt bien compris de tous.

Querelle de mots ? Certes ! Mais à quoi s’attendre d’autre dans un abécédaire?

André Sénik

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Commentaires
V
L'égalité des chances s'adresse à des individus, et non à des groupes ou catégories. On parlerait alors d'égalité des droits.<br /> Cette nouvelle conception qui s'attaque aux échecs de la première (école) prend en cours de route les trajectoires en difficulté. Comment représenter l'effet de cette action sur la trajectoire? Par un plus de temps (en abscisse) et un plus de niveaux de compétence, dans le domaine d'activité choisi par le sujet (en ordonnée). <br /> C'est toujours de cette manière, qu'autour de moi, j'ai vu des gens mal partis s'en sortir.
A
Je ne vois simplement pas en quoi l'idée d'égalité éclaire la question: comment faire pour que les mal partis ne soient pas condamnés à la simple reproduction? <br /> L'expression "égalité des chances" semble impliquer qu'on accepte les inégalités dues au mérite, dans la concurrence entre les individus. <br /> Mais l'égalité au départ est un mythe qui induit des objectifs trompeurs et dangereux du genre: tout le monde doit avoir les mêmes chances au départ de la vie d'entrer à l'X.<br /> Ce qui a un sens clair c'est d'aider chacun à se développer autant que possible, à partir de ce qu'il est, en l'aidant à surmonter ses handicaps et ses manques. <br /> Où est l'égalité là-dedans?<br /> <br /> André
P
Je me demande s’il ne conviendrait pas de distinguer deux notions ou de deux niveaux d’égalité des chances : une stricte égalité ; les enfants auraient des chances identiques de réaliser leurs aspirations professionnelles et sociales.<br /> Mais la notion peut aussi désigner le fait que chaque enfant (ou plutôt, comme tu le précises dans l’une de tes réponses, chaque famille) possède, non des chances identiques à absolument tous les autres , mais des chances réelles de réussir scolairement et professionnellement.<br /> <br /> Définie de la seconde façon l’égalité des chances ne me semble pas simplement une exigence<br /> de solidarité mais de justice, ainsi que toutes les mesures qui permettent de progresser vers elle (pensons par exemple aux bourses scolaires). La justice n’implique pas que toutes les familles aient exactement les mêmes possibilités de promotion, mais qu’elles en aient toutes.<br /> <br /> Je crois qu’il faut y aller prudemment avec la notion d’égalité des chances : la plupart du temps elle est dénoncée comme expression d’une conception individualiste de la société et caricature de justice sociale (c’est ce que fait, entre autre choses, Savidan dans son dernier livre) et il me semble qu’elle mérite mieux.<br /> <br /> Amicalement<br /> <br /> Pierre Gautier
S
La redistribution des richesses est un acte qui relève en grande partie de la solidarité sociale plus que de la justice sociale concrète. À moins de considérer que ceux qui ont plus l'ont volé à ceux qui ont moins.<br /> Je crois avoir distingué la promesse utopique et frustrante de l'égalité des chances et l'objectif d'aider plus ceux qui ont moins, pour leur donner le plus de chances possible, dans des trajectoires qui ne sont pas des couloirs parallèles menant à la même ligne d'arrivée, ce que suggère l'égalité des chances.
S
Il s'agit de savoir si la clarté et la distinction dans les idées (le role d'un abécédaire) ont des effets utiles.<br /> La première différence est que ce n'est pas un devoir de la société d'égaliser les conditions du départ. La deuxième est que cette égalité des chances au départ n'est pas exigible, elle est un faux espoir, alors que le justice est une exigence réaliste. Ce n'est donc pas un échec de l'école de constater que les enfants d'enseignants y réussissent mieux que les autres. Que l'histoire des individus et de leur promotion sociale appartient à plusieurs générations. C'est pourtant la vulgate bourdivine dominante d'accuser l'École de viser à la reproduction des inégalités de départ.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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