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vive les sociétés modernes - abécédaire
4 juin 2007

abécédaire: A comme Aliénation

Le mot est un bon exemple pour illustrer la pluralité de significations d'une notion. Cette pluralité s'explique par la logique de glissement d'un sens à un sens voisin. Elle aboutit à la nécessité, pour qui veut penser de façon claire, de commencer par les distinctions. Aliéné vient du latin alienus, autre.
En langage juridique, aliéner c'est un céder quelque chose à un autre. Sont déclarés inaliénables les droits dont personne ne peut être privé et dont on ne peut se défaire volontairement.
Au sens psychiatrique, l'aliénation mentale est l'état dans lequel une personne n'est plus elle-même, n'est plus en possession de ses moyens, et devient comme étrangère à elle-même, à sa véritable personnalité.
Par glissement, le mot a fini par désigner l'état de dépendance dans lequel se trouvent des hommes qui, sans le savoir, sont dépendants de puissances étrangères.

Le concept d’aliénation fonde une certaine conception politique de la liberté. Il signifie en effet que les hommes sont soumis à des forces étrangères qui les subjuguent intérieurement au point de les rendre étrangers à eux-mêmes, à leur vraie nature, à leurs vrais intérêts, à leur raison.
La conséquence de cette aliénation est que la liberté ne consiste pas à donner à ces hommes le droit d’agir et de penser à leur guise. La liberté de croyance, par exemple, serait l’obstacle à la liberté de pensée.
Émanciper, ce n’est pas reconnaître à chacun des droits « naturels » et inaliénables. C’est l’arracher à la domination de la religion qui est opium du peuple, des apparences sensibles qui sont trompeuses par essence, du marché qui est une force impersonnelle, de la consommation marchande qui rend esclaves de faux besoins, du spectacle qui est un leurre du réel, et ainsi de suite.
L’idée d’aliénation conduit à exclure la liberté au sens le plus simple, le plus négatif : n’être pas soumis à la volonté d’autrui, que ce soit sous forme de contrainte ou d’empêchement.
Elle comporte la tentation totalitaire de libérer les hommes en les transformant et sans leur donner le droit d’être ce qu’ils sont effectivement.
C’est une idée anti-libérale.
Si on admet que la formule de l’humanisme est que « rien de ce qui est humain ne m’est étranger”, ( en latin « alienum ») l’idée selon laquelle les hommes sont victimes de l’aliénation est anti-humaniste.

André Sénik (philosophe)

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Commentaires
Y
C'est ce à quoi j'ai abouti en suivant des malades en état de "décompensation", selon le langage pudique en vigueur, puis en rémission sous l'effet du traitement psychotrope. À aucun moment il n'y a un sentiment de perte d'identité (un supplément d'identité, comme se prendre pour Dieu, n'affecte pas l'identité précédente: Moi, je suis Dieu*). Les sensations corporelles, le sentiment d'étrangeté, sont vécus comme venant de l'Autre (poison, ondes, voix) qui l'envahit et le persécute.<br /> La rémission obtenue, le malade critique et rejette comme illusions ces anomalies de sa pensée sur lui-même, et ne ressent aucune modification de son identité. Il n'y a plus d'Autre.<br /> Une rechute, qui modifie la relation avec le médecin, peut être perçue par lui avant qu'elle soit clairement exprimée. Les animaux familiers font beaucoup mieux! L'entourage familial, lui, se défend contre toute perception.<br /> Un mécanisme important de la crise est la perte des limites, le ressenti de "passoire". Le malade ressent l'intrusion de l'Autre en lui, mais aussi l'impossibilité de retenir sa pensée, devinée, lue. par l'Autre.<br /> Ce vécu me parait témoigner de ce que le Moi et l'Autre ne se confondent pas, ne ne substituent pas l'un à l'autre. C'est pourquoi je ne suis pas convaincu par la description psychiatrique "classique". <br /> <br /> *C'est caricatural et rarissime, bien sûr.
P
Je trouve bien intéressante la précision selon laquelle "l'aliénation (mentale) est un symptôme extérieur, une objectivation": mais est-ce une simple précision ou une mise en cause au moins partielle de la notion d'aliénation mentale ou des idées qui lui sont associées?
Y
Si tout un chacun peut éprouver un sentiment d'aliénation en prenant conscience qu'il est dépendant d'une personne, d'un produit ou d'un objet, l'aliénation mentale est un attribut, d'abord exprimé par les normaux, surpris par l'étrangeté du fou, puis, par les psychiatres, qui ont défini l'aliénation, comme A.Sénik le rappelle dans son billet, comme "l'état d'une personne qui n'est plus elle même, n'est plus en possession de ses moyens, et devient étrangère à elle même, à sa véritable personnalité".<br /> Il se trouve que la personne ainsi décrite ne se sent pas du tout comme ça, surtout en plein coeur de la crise. Que c'est donc le médecin qui en décide, mais avec une certaine raison, puisque soignée, la personne "aliénée" redeviendra.... acceptable! <br /> La "guérison" de la crise permet la prise de conscience des troubles de la pensée et du comportement, leur critique, mais s'accompagne rarement d'une mise en doute de l'identité.<br /> C'est pourquoi je préfère dire que l'aliénation est un symptôme extérieur, une objectivation.
E
Peut-être ais-je lu trop en diagonale et superficiellement les textes écrits en 2007 sur l'aliénation, mais je ne crois pas y avoir vu accolés ces deux mots pourtant souvent complémentaires dans l'usage courant ou celui des professionnels de la psychiatrie: Aliénation et mentale.<br /> Ceci pour souligner que la notion d'aliénation se rapporte – sans doute de manière exclusive – à l’ordre mental.<br /> Au domaine du mental dirait sans doute un hindouiste.<br /> <br /> Le mot Aliénation nous vient en effet du latin ali-énus en lequel nous retrouvons racine de plusieurs mots qui évoquent la notion d’autrui, d’étranger ou de manière plus neutre : d’ailleurs. <br /> Aliénus dans lequel se trouve Alius qui vient du grec allos = autre (voir alter, alibi, allié…)<br /> Nous retrouvons aussi, dans la forme verbale (aliénare = aliéner), la notion céder à un autre, de vendre, d’où l’idée de perdre (aliénare mentem = perdre l’esprit)<br /> <br /> Il fut un temps où l’on vendait son âme au diable, où soufflait sur certains esprits un vent de folie, d’où les notions d’aliénation, de possession par autre que soi…<br /> Les approches de cette notion d’altérité, de dominé par autre qu’entre soi, semblables, sont peut être plus décalées maintenant, débouchant sur la notion d’une meilleure acceptation de ce qui nous dérange ; de ce qui nous dérange parce que cela nous indique qu’une part de nous est possiblement aliénée.<br /> Notre mental cherche la plupart du temps – pour ne pas dire toujours – à nous éviter d’aller fouiller dans ces zones de nos modes de fonctionnement.<br /> Il occulte nos abandons à autrui du soin de penser à notre place. Sans parler de ceux aux quels nous vendons pour un prix dérisoire, notre faculté de penser de manière désaliénée, libre : il est bien sûr plus facile de rejeter voire d’enfermer autrui ou de le renvoyer là d’où il vient, que d’écouter celui celle qui vient d’ailleurs et apprendre grâce à lui quelles sont nos différences à accepter en réciprocité.<br /> <br /> C’est pourtant là, dans une désaliénation mentale généralisée, que peut se trouver à vivre la réalité de la diversité du monde des humains.
V
J'interviens avec retard dans le débat, parce qu'il m'a fallu du temps pour remonter l'abécédaire jusqu'à cet article.<br /> L'aliénation n'est pas un sentiment autonome. Le malade mental en crise ne se sent pas "aliéné". Ce sont les autres qui le sont, à ses yeux.<br /> Mais ces autres ne le comprennent pas et le rejettent comme "étranger". L'incompréhension est un symptôme, extérieur, de la maladie mentale.<br /> L'aliénation a un aspect quantitatif: un fou est fou pour beaucoup de monde.<br /> Mais comme chacun de nous a ses particularités qui le différencient des autres, il est toujours un fou pour quelqu'un d'autre.<br /> Pour cette (dé)raison, la folie est une cause d'angoisse très répandue: je pense différemment: suis-je fou?<br /> Quant à l'idée que les fous étaient plus heureux que les "normaux", elle n'a pas résisté longtemps.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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