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vive les sociétés modernes - abécédaire
2 novembre 2006

Eloge des sociétés contemporaines (3): genèse (suite)

   Genèse de leur réussite (suite)

Le moralisme actuel est tout à fait incapable de rendre compte des qualités qui furent nécessaires à la création du monde moderne. Il consiste à réduire la morale à la seule éthique de la conviction, expression utilisée par Max Weber pour désigner une morale où l'on agirait uniquement par pur respect des principes, sans se fonder sur le calcul des conséquences (par opposition à l'éthique de la responsabilité). Or jamais une telle éthique, à elle seule, n'aurait été capable d'engendrer nos sociétés actuelles ; il a fallu pour cela mettre aussi en œuvre des vertus multiples et diversifiées, et pas toujours très " morales " au regard du moralisme : intelligence, esprit d'entreprise, passion de la recherche, détermination, capacité à diriger, conscience professionnelle, philanthropie, ambition, sens des responsabilités, ingéniosité, goût du profit, intransigeance, etc. Il faudra bien un jour apprendre à réintégrer certaines de ces vertus (toutes ?) dans la morale véritable ; faute de quoi nous courons le risque de rester étrangers à notre propre monde.

D'autant que ce moralisme s'accompagne naturellement d'une dévalorisation des activités techniques (utilitaires), au nom d'un humanisme superficiel. C’est le cas, par exemple, lorsqu’une opposition est dressée entre la culture et la technique ou l'industrie : préjugé séculaire qui consiste à " croire que donner une application constante et suivie à des expériences et des objets sensibles et matériels, c'est déroger à la dignité de l'esprit humain " (Diderot). Préjugé persistant qui fait dire à G. Simondon que notre culture, trop souvent, " se conduit envers l'objet technique comme l'homme envers l'étranger quand il se laisse emporter par la xénophobie ; de même la machine est l'étrangère ; c'est l'étrangère en laquelle est enfermée de l'humain, méconnu, matérialisé, asservi, mais restant pourtant de l'humain " (Du mode d’existence des objets techniques). Cet " humanisme facile " ne nous aide guère à reconnaître la grandeur d'une société, qui est issue pour une large part du génie industriel de l'homme (ce préjugé n'est peut-être pas non plus étranger au discrédit si fréquent des entrepreneurs, notamment auprès du monde dit cultivé).

Le catastrophisme écologique (qu'il ne faut pas confondre avec la pensée écologique) appartient à cette vieille tradition technophobe. Il n'est pas impossible que le développement des sciences et des techniques modernes ne nous fasse courir un certain nombre de risques non négligeables. Il ne faut pas en oublier pour autant toutes les catastrophes qu'elles ont permis d'éviter : à commencer par les épidémies naturelles qui ravageaient régulièrement telle ou telle partie de l'humanité. C'est grâce aux biotechnologies modernes qu'au cours des dernières décennies des épidémies comme le sida, ou le sras ont pu être partiellement contenues. En Afrique aujourd'hui ce n'est pas leur présence mais leur absence qui est catastrophique. Et la grippe aviaire, avec son risque de contamination grave aux hommes, en ce moment même, ne serait-elle pas encore plus redoutable sans la science moderne ? Quand on fait le bilan humain des progrès scientifiques et techniques, il ne faut pas simplement prendre en compte les catastrophes éventuelles dont ils seraient porteurs, mais celles qu'ils ont réellement empêchées. Le procès de Descartes, pour avoir annoncé et salué la naissance d’ une science nouvelle, capable de rendre l’homme "comme  maître et possesseur de la nature ", est plus facile à faire dans les pays qui bénéficient de cette science et de ses applications que dans ceux où elle est encore inconnue. Ce qui ne signifie pas bien sûr que le principe de précaution est inutile...

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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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